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08.02.2006
APRES LA DéFAITE DU CAMEROUN : Iya Mohammed pour la solidarité...Achille Mbembé pour la reforme
Sur les deux fronts sur lesquels il a misé sa carrière ministérielle, à savoir la qualification du Cameroun pour la coupe du monde 2006 en Allemagne et un éventuel triomphe lors de la coupe d’Afrique des nations en Égypte, le ministre des Sports, Monsieur Philippe Mbarga Mboa, vient donc d’enregistrer, en moins de quatre mois, deux échecs retentissants. Ces deux échecs ont une triple signification. Ils ont, naturellement, une dimension sportive. Elle saute aux yeux, et point n’est besoin d’y insister. Il y a, ensuite, une dimension politique – pas évidente dans une culture du pouvoir où échouer constitue la meilleure manière de rester dans les bonnes grâces du satrape. Il y a, enfin, l’échec d’un anti-modèle de gestion – une culture institutionnelle et une manière d’organisation en décalage par rapport aux méthodes et à l’éthos qui, ailleurs dans le monde, marche.
Dans les pays sérieux, où les fédérations nationales jouissent d’une large autonomie et gèrent les affaires du football à la manière d’entreprises contraintes au résultat, imputer à un ministre la responsabilité de l’échec lors de compétitions sportives peut paraître étonnant. Mais justement, dans ce cas d’espèce, l’on n’a guère affaire à un pays ordinaire.
Le gouvernement camerounais a en effet, depuis le début des années soixante-dix, fait du football une affaire d’État. Il l’a fait à un point tel que le football a fini par devenir l’un des rares véhicules à travers lesquels se décline l’identité nationale – son langage privilégié, à la vérité. Ce sport constitue également aujourd’hui la seule forme de présence visible de ce petit pays sur la scène globale. La présence du Cameroun au monde passe davantage par le nom d’un Roger Milla, d’un Samuel Eto’o et de quelques autres que par les actions quelconques d’un potentat dont la corruption, l’absentéisme et la paresse diplomatique nous ont causé non seulement un très profond embarras, mais aussi des torts considérables, ruinant au passage ce qui nous restait de réputation, de fierté et de dignité. Le potentat a instrumentalisé, à des fins politiques, tout événement ayant quelque rapport que ce soit avec la gestion de l’équipe nationale de football et a, chaque fois, cherché à tirer le plus grand profit possible de ses victoires. Il est donc normal qu’en cas d’échec, ceux qui en ont les moyens lui exigent des comptes.
Encore faut-il savoir lesquels exactement. L’on ne reviendra jamais assez sur ce que tout le monde sait – les innombrables turpitudes, la gestion au jour le jour, la bureaucratisation de tout et de rien, le non-respect des contrats avec les tiers, l’immixtion de fonctionnaires incultes dans des décisions techniques, des valises bourrées d’argent liquide que l’on distribue dans des chambres d’hôtel la nuit tombée, bref, tous les accoutrements d’une bonne république nègre et bananière. Si seulement ils ne s’étaient pas tant déshonorés en acceptant de subir, jusqu’aux plus profonds recoins de leur vie intime une tyrannie aussi vile, les Camerounais seraient en droit d’exiger que cela cesse, et que soit assaini le marécage.
De fait, les idées pour faire avancer le football dans ce pays ne manquent pas. Dans une large mesure, la défaite au Caire permet, si l’on était vraiment sérieux, de finalement faire face à nos responsabilités. S’il le voulait vraiment, s’il en avait vraiment les capacités, s’il travaillait vraiment à obtenir le soutien dont il a besoin au sein du gouvernement, s’il était capable de bâtir au sein de la société civile et des milieux économiques les coalitions dont il a besoin, Monsieur Philippe Mbarga Mboa pourrait initier, dans les mois qui viennent, et pour le bien de tous, la plus grande réforme du football que le Cameroun ait connu depuis l’indépendance.
Au demeurant, après tant d’années de pilotage à vue, c’est bien le moins que ce pays est en droit d’exiger de lui, ici et maintenant. Mais encore faut-il qu’il soit conscient des tâches de l’heure, et qu’il dispose de suffisamment de force intérieure pour s’auto-transcender – chose fort rare dans ce milieu où les dividendes de la bêtise sont toujours bien plus faciles à engranger que les fruits de l’héroïsme. Voici – on ne sait jamais – quelques pistes de réflexion.
Et d’abord, s’il n’est pas trop tard, le Cameroun devrait se porter candidat à l’organisation de la Coupe d’Afrique des Nations en 2010. Compte tenu de ce que ce pays a apporté au football africain et mondial, l’on imagine l’impact symbolique et l’engouement qu’un tel événement susciterait dans le continent et de par la planète. Sa tenue l’année même de la première Coupe du monde en Afrique permettrait au Cameroun de récolter, seize ans plus tard, les bénéfices de son exploit de 1990, dont on sait bien qu’il n’eut aucune retombée positive sur le développement du sport dans le pays. La société civile, les secteurs économiques les plus susceptibles de bénéficier des investissements rendus possibles par un tel événement, les médias, les jeunes qui rêvent de devenir de grands joueurs, l’ensemble du mouvement culturel et sportif devraient faire pression sur ce gouvernement afin qu’il consacre une partie de ses énergies à un tel projet d’intérêt international.
Un véritable calendrier de développement des infrastructures serait ainsi mis en place. Après plus de trente ans de négligence, quelques nouveaux stades pourraient être construits et de vieux autres réhabilités. Des terrains d’entraînement dignes de ce nom verraient le jour. Le secteur hôtelier et celui du tourisme connaîtraient un boom. Le réseau routier urbain pourrait faire l’objet d’importantes réfections à l’occasion. Les villes devant accueillir les compétitions présenteraient un visage plus propre et plus hygiénique. “ L’Afrique en miniature ” aurait là une occasion unique d’exhiber la puissance de sa créativité dans les domaines des arts et de la culture. Des contrats pourraient être passés avec de grandes entreprises sud-africaines impliquées par ailleurs dans l’organisation de la Coupe du monde dans ce pays cet été-là. Le Cameroun tout entier serait mobilisé autour d’une cause susceptible de réconcilier tout le monde. Les bénéfices symboliques et matériels seraient considérables, et l’esprit national en sortirait grandi.
Deuxièmement, la perspective d’un tel événement permettrait, une fois n’est pas coutume, de finalement mettre en place une véritable stratégie de développement du football sur le moyen terme. L’objectif de ce plan à moyen terme serait de marquer, d’une présence vive, la Coupe du monde 2010 en Afrique du Sud et de dépasser, à l’occasion, le record de 1990. La Coupe des nations 2010 constituerait un aspect – mais un aspect seulement - de cet objectif. Atteindre cet objectif exigerait de profondes réformes dans la manière dont est gérée, actuellement, l’équipe nationale du Cameroun. En un mot, il s’agit de passer de la politisation et de la bureaucratisation du football à sa professionnalisation.
Il s’agirait de créer les conditions financières, administratives, politiques, et un environnement tel que le staff technique de l’équipe nationale dispose de quatre bonnes années pour travailler dans une totale sérénité et autonomie. Car, on imagine bien qu’après la débâcle du Caire, le chemin est très long. Il s’agit d’abord de pousser jusqu’au bout la reconstruction de l’équipe entamée depuis 2004. En 2010, nombre de titulaires actuels auront largement dépassé la trentaine et ne seront plus disponibles pour les échéances de l’heure. Il faut par conséquent s’engager très rapidement dans une large entreprise de prospection de nouveaux talents dans la tranche d’âge allant de 18 à 24 ans, le but étant de mettre en place un bloc solide et compétitif qui devrait être prêt pour la prochaine campagne mondiale notamment. Cette tâche de prospection pourrait s’avérer d’autant plus passionnante que les talents sont nombreux.
Il s’agit, ensuite, d’inventer un système de financement des équipes nationales de football qui permette de s’acquitter des contrats avec les entraîneurs, de payer régulièrement les primes des joueurs, de prendre en charge les différents frais liés aux stages de préparation, à la prospection, à la supervision des matches des futurs adversaires, et ainsi de suite. L’accumulation des arriérés de salaires dûs à des techniciens étrangers nuit considérablement à la réputation du pays. Il en est de même des querelles autour des primes, ou encore des retards injustifiables dans la libération des crédits. Il faut s’inspirer des mécanismes mis en place dans d’autres pays (la France, l’Angleterre, l’Allemagne, le Brésil en particulier) et inventer un système original de financement des activités et campagnes de l’équipe nationale qui soit indépendant de la bureaucratie d’État.
Dans une large mesure, les “ Lions Indomptables ” devraient être en mesure de contribuer, pour une large part, au financement de leurs campagnes. Pour l’heure, nul ne sait, par exemple, comment se fait la répartition des recettes au titre des matches amicaux. Il n’est pas normal qu’un pourcentage des recettes encaissées au titre de ces matches ne soit pas réinvesti dans le budget de fonctionnement des équipes nationales. Au besoin, l’on pourrait négocier avec les joueurs un reversement d’une partie de leurs primes dans un fonds destiné au développement du football ou aux activités des équipes nationales, à condition qu’un tel fonds soit bien géré et sujet à des audits internationaux. La gestion des matches amicaux des “ Lions Indomptables ” laisse à désirer. En cette année de Coupe du monde, et alors que de nombreuses équipes qualifiées pour le tournoi final sont en quête d’adversaires pour les phases de préparation, le Cameroun aurait pu arracher plusieurs matches amicaux avec de grandes équipes européennes, sud-américaines et asiatiques, engrangeant, au passage, d’utiles revenus dont une partie pourrait être réinvestie de manière à produire des profits.
Troisièmement, si des progrès sur le long terme doivent voir le jour, il faut absolument investir dans la formation des jeunes. Rien n’empêche le Cameroun de mettre en place un véritable centre d’excellence, à l’exemple de Clairefontaine, où seraient formés les meilleurs talents sélectionnés parmi les jeunes sur le plan national. Ces derniers y bénéficieraient d’une formation de très haut niveau, touchant à la fois à leur développement physique, leurs sens tactique, leur style de vie, les aspects diététiques, et tout ce qui, aujourd’hui, relève d’un traitement scientifique du sport. Leur formation sportive serait accompagnée d’une formation purement scolaire. L’on a vu, ailleurs, tout le profit que des nations sportives ont pu tirer de tels mécanismes.
Les exemples indiqués ci-dessus sont loin d’être exhaustifs. Ils montrent clairement que les idées existent. Que ces idées ne puissent être étudiées, encore moins mises en pratique, est une question purement politique. Il faut imaginer que tant que les Camerounais ne se réveilleront pas, et n’obligeront pas leurs gouvernants à les prendre au sérieux, de telles idées auront beau être formulées. Elles ne verront point le jour, malheureusement. Mais au moins l’imaginaire d’un futur-autre sera entretenu. Et c’est une partie de notre tâche que d’alimenter sans cesse cet imaginaire, de lui fournir les éléments de sa reproduction dans les esprits, en attendant le jour où, il faut l’espérer, les Camerounais décideront de répondre finalement de leur vie et de leur histoire propre, en toute responsabilité, à la place de personne d’autre que d’eux-mêmes. En attendant, force est d’observer qu’ils ont exactement ce qu’ils méritent.
Par par Achille Mbembe
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