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28.06.2003
Double Contact : Ils m’ont pris mon «Marco» !
Aujourd’hui, il me sera très difficile de parler à l’oreille des mots. De s’embarrasser de la rhétorique, des effets de style, de la révérence et du bagout de toujours. Mon verbe, s’employant d’ordinaire à être si empanaché, si stylé, sera cru. D’une verdeur qui hurle. D’une tristesse qui saura raconter ma profonde douleur, ma consternation.
Aujourd’hui, je porterai la plume dans la plaie. Parce que je suis un homme perdu. Une âme qui erre dans les méandres cotonneux de ses croyances, aujourd’hui balayées, sur le jeu, sur «son» jeu. Un enfant trahi. Par tout. Par ce football qui passa longtemps pour sa «seconde religion». Le bonheur est dans l’instant, me disait-on. Le malheur aussi…
Aujourd’hui, je suis seul. Tout seul devant la cruauté de ma passion, des hommes qui la servent surtout. Aujourd’hui, le football m’a dribblé, trahi, foudroyé. Car il m’a toujours promis le monde de la félicité, voilà qu’il me plonge, sans m’avertir, dans les abysses de l’enfer. Je le savais chauvin et mesquin, mais je ne l’ai jamais cru assassin et cynique. Je ne l’avais jamais imaginé sous l’effroyable manteau de l’Ange de la mort. Pourtant…
Aujourd’hui, j’ai la plume qui pleure. J’ai perdu un des miens. Un frère. Un Camerounais. Marc-Vivien Foé. J’ai perdu «Marco» !
Aujourd’hui, je pleure un géant. Un fabuleux footballeur. Un juste (!) milieu qui savait si bien mixer, dans un tempo endiablé, l’assurance de l’athlète et l’équilibre du danseur. «Marco» était énorme. Un «tank» en ballerines. Un grand. Au propre, comme l’a voulu le «Bon Dieu». Au figuré aussi, comme «Marco» s’était fait homme. Affable. Courtois. Gentil. Presque aux antipodes du star-system qui aveugle les footeux d’aujourd’hui. Car sous ses dehors himalayens et sa dégaine quelque peu effrayante, Foé était un homme. Un vrai. Un pur. Point final.
Aujourd’hui, j’aurais pu me fondre dans l’hypocrisie post-mortem qui nous force à toujours décrire le disparu sous les traits enjolivés d’un bel homme. Je refuse ! Aujourd’hui, je ne fais que donner la parole à la vérité. Aux faits. Ceux-là qui, entraînés par le cours de la vie, m’ont mis devant le «grand Marco» un soir de février 2000 dans les couloirs du Kuramo Lodge l’Eko Hotel de Lagos. La veille d’une sulfureuse finale Cameroun-Nigeria de Can 2000 dans l’enfer de Surulere. Tout jeune journaliste sorti trois semaines plus tôt du Cesti, quelque intimidé devant la stature physique du bonhomme et la dimension footballistique du joueur, j’ai été vite sublimé par l’extrême disponibilité et l’infinie gentillesse de «Marco». A la fin d’une discussion d’une quarantaine de minutes en compagnie de son ami, mon confrère Lamine Badiane (Cfi tv), «Marco», avant de monter se coucher, me tapota l’épaule : «Tu sais, mon gars, les Nigerians parlent beaucoup, mais ils nous connaissent…Ils ne pourront jamais nous intimider…Demain, vous allez voir…», me souffla-t-il tout en souriant. Et, j’ai vu ! Un Lion. Un indomptable, dansant sur l’herbe verte d’un Surulere ahuri. Un beau Marco. En grandeur-mature. Egal à lui-même. A ce «monstre» qui savait charmer les foules…Ce fascinant «extraterrestre» qui a été envoyé au Ciel. Pour de bon ! Par la faute d’autrui ! Oh mon «Marco» ! Ils m’ont pris mon «Marco»…
Aujourd’hui, j’aurais pu, par un accès de suivisme, me fendre du «J’accuse» de Zola. Déblatérer, vitupérer envers et tout. Mais je me contenterai de demander des comptes. A tous ceux qui, à mes yeux, m’ont «ruiné». A Blatter d’abord et à son funeste appareil de la Fifa. Sepp, je ne comprends pas…Je ne comprends pas pourquoi tu as pu «attirer» mon frère «Marco» dans la pénombre de cette «Coupe Banania», cette Coupe des Confédérations sans essence ni véritable existence, pour «l’abattre» si froidement. Je ne comprends pas pourquoi tu es allé inventer cette compétition qui a divisé le peuple…jusqu’à la mort. Pourquoi tu penses que les footballeurs sont de machines à sou, des simples robots appelés à carburer sans arrêt pour renflouer les caisses de ton sinistre «gouvernement». Tu leur avais volé le plaisir et la liberté, tu viens de leur voler une vie…
Avec toi Sepp, le foot, «mon» foot a fini de vendre son âme au.. diable après l’avoir aliéné à l’argent. Sepp, hier, tu as eu la suspicion sur le dos, aujourd’hui tu as un mort dans les bras…Et j’ai été choqué par ta froideur et ton cynisme quand je vous ai entendu dire, sans ciller, que «le football était plus fort». «Que le jeu doit continuer…» Je n’en reviens pas toujours. Mais j’ai vite compris : Sepp, vous ne méritez pas le foot. Pas en tout cas, celui-là qui nourrit ma passion. Et un jour ou l’autre, tu répondras de ta «trahison». Devant les hommes ou devant le Bon Dieu.
Toi aussi, Billy, tu répondras. Oui, toi, Shankly !, l’ancien manager de Liverpool, pour avoir osé dire un jour que «le football était plus important que la vie ou la mort». C’est faux, Bill ! Toi aussi, tu m’as menti… Aujourd’hui et demain, le football va se déchirer sur l’opportunisme de la Coupe des Confédérations, l’omnipotence de la Fifa, le calendrier démentiel du foot pro, la santé des footeux, la nouvelle dictature de l’argent, l’âge réel des joueurs africains, sur le manque de réaction des secouristes de Gerland, mais il ne me rendra jamais «mon» Foé. Et «Marco», mon «Marco», était la vie…
Papa Samba DIARRA – Journaliste
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