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Yaoundé : La légende du Stade malien de Nkoldongo (10.05.2006)
Retour sur le passé de ce lieu mythique, héritage de la Can 72, en compagnie du chef du quartier.
Xavier Luc Deutchoua
Deux femmes dans la pénombre, devant le portail peint en gris d’une villa sise à Nkoldongo XII, au lieu dit Stade malien. C’est Alphonsine Mbida, et une visiteuse du soir, venue lui faire part de ses ennuis conjugaux. La dame chuchote: "Il faut le menacer, il faut le chauffer". Alphonsine Mbida, du chef, fait mine d’acquiescer, puis, tranche:"Je ne peux pas le chauffer sans écouter sa version des faits". Que reproche l’habitante du quartier à son jules? Un acte d’infidélité, d’irresponsabilité ou de violence? Alphonsine Mbida ne dira mot au reporter indiscret. La plainte sera étudiée par ses seuls notables, avant la confrontation des deux camps. Et le verdict, toujours impartial, interviendra sous forme de conseils aux parties, ou d’amendes pour le fautif.
Au quotidien, Alphonsine Mbida, 51 ans, cinq enfants, chef du quartier Nkoldongo XII, est assaillie de placets. Et, surtout, de plaintes. "Il y a un serpent dans le Wc du voisin; le barman d’à coté empêche mes enfants d’étudier avec sa musique, mon mari me tape tous les soirs, il a construit sur mon terrain…". Elle égrène le chapelet varié des jérémiades enregistrées dans son salon meublé avec un chic discret.
Historiquement, Nkoldongo XII, faisait partie de la grande chefferie de 2è degré de Nkoldongo, taillée sur pièce par l’administration coloniale en faveur du grand chef Manga Belibi. Ce dernier mort, l’administration du Cameroun fraîchement indépendant, croit bon de saucissonner son domaine en 14 chefferies de 3è degré. Une des portions, limitée au Nord par le Carrefour Nkol-Ewe et le Carrefour Anguissa, à l’Est par le Carrefour Anguissa et le Carrefour Iptec, au Sud par le Carrefour Iptec et la rivière Ewe, et à l’Ouest par la rivière Ewe et le Carrefour Nkol-Ewe, forme le quartier Nkoldongo XII. Son administration revient aux Yelboga, le clan majoritaire. Le premier chef, Alphonse Mbida Abe, ne laisse pas de descendance à sa mort en 1982. Le trône échoit alors à son cousin, Alphonse Mbida Minkoulou. "On ne pouvait trouver mieux, le nouveau chef s’étant déjà imposé en donnant une âme au quartier grâce à sa passion, le football. C’est lui qui a offert le terrain du Stade Malien", révèle sa fille et successeur.
La passion pour le foot de ce founding father du Canon de Yaoundé vient de ses années à l’Ecole primaire supérieure (Eps) de Yaoundé. Orphelin à 5 ans, Alphonse Mbida Minkoulou prend sa destinée à revers en 1938, en franchissant les portes de l’Eps, vivier de l’élite administrative indigène. Dans sa promotion, des noms célèbres comme Tokoto Dayas, Pierre Dzietam, Jacques Ngom, Julienne Niat, future épouse Keutcha, Maïdadi Saidou. Et bien d’autres. En plus des études, ces adolescents s’adonnent au football sur le plateau Atemengue, au sein de "L’équipe de l’Ecole indigène". Alphonse Mbida y esquisse ses premiers pas footballeur, "au poste de arrière gauche", témoigne sa fille, avant d’intégrer le Canon de Yaoundé, "qu’il contribue à créer, avec Adolphe Mbida, le père de Théophile Abéga, et le chef Manga Bélibi".
Can 72
Quand en 1972, le Cameroun accueille la 8è coupe d’Afrique des Nations, le comité national d’organisation, créé par arrêté présidentiel du 27 octobre 1970, cherche des "stades échauffement" pour les huit équipes participantes (Cameroun, Maroc, Zaïre, Kenya, Mali, Togo, Congo, Soudan). Le Sous-comité Yaoundé, présidé par l’inspecteur général, avec pour vice-président le délégué du gouvernement auprès de la commune de plein exercice de Yaoundé, se charge de la question. André Fouda, le délégué, s’adresse à Mbida Minkoulou. "Le maire Fouda savait que mon père ne pouvait trahir sa passion, ni contrarier Ahmadou Ahidjo, son cadet d’un an à l’Eps" Les travaux de terrassement de la parcelle mis à disposition pour les besoins de la 8è Can ont lieu en janvier 1972. "Mon père avait des maisons sur le site. Il a dû les sacrifier pour la cause du football", révèle Cécile Ngambi, l’une des filles de Alphonse Mbida, ancienne championne africaine de saut en hauteur. Ainsi naît la légende du Stade malien, inauguré en février 1972.
A Nkoldongo XII, des nos jours, on cherche en vain les traces des coéquipiers de Salif Keita et Touré, qui logeaient à Impérial Hôtel, qui préparèrent ici leur chevauchée jusqu’à la finale de la 8è Can en 1972, perdue le 5 mars 1972, devant le Congo. Les anciens sont rentrés chez le Père; les albums-photos des riverains sont muets. Alphonsine Mbida, doit forcer la mémoire, pour restituer quelques maigres images de l’époque: "Les Maliens arrivaient chaque matin à 9h par bus, ils s’entraînaient jusqu’à 12h; puis il revenait à 16h pour repartir à 18h". Le
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souvenir du chef vacille. Sauf sur un point: "Papa, qui n’était pas encore le chef du quartier en 1972, assistait toujours aux entraînements. Tous les jours, il offrait des rafraîchissants aux joueurs maliens".
Cécile Ngambi
Pour avoir un témoignage de première main sur l’épopée malienne à Nkoldongo XII, "il faut peut-être se rendre chez Jean Pierre Anguissa", nous conseille Joseph Ngono, un notable du quartier, cadre à la Cnps, "C’est un patriarche". Ainsi qualifie-t-on, chez les Bétis, qui en impose par son âge, son autorité, sa probité et l’étendue de ses connaissances. "C’est un féru de la littérature ekan", ajoute-t-il. En ligne droite, le patriarche est à 500m du Stade Malien, à Nkoldongo XI. Le patriarche, ancien photographe, grabataire en ce moment, a des trous de mémoire quand on aborde la question. "Je n’étais pas encore rentré au pays quand cela s’est passé". Aujourd’hui, le dossier Stade malien est une bombe à retardement. Cécile Ngambi, en parle en des termes impubliables. Quant à sa sœur aînée, le chef Alphonsine Mbida, elle invite à "changer de sujet", à chaque assaut du journaliste. Le Stade malien cache t-il des secrets de famille?
L’autre face cachée de Nkoldongo XII ne se voit pas d’une voiture. Il faut mettre pied, serpenter à travers le quartier. Derrière le goudron, les chemins sont gorgés d’eaux de cuisine versées sur la chaussée. Par endroits, se forment des cloaques d’où s’envole une nuée de moustiques. Des femmes, font la cuisine à même la véranda; de jeunes gens, visiblement au chômage, grillent cigarettes sur cigarettes dans les bars. Des bambins, les pieds nus, s’étripent autour d’un ballon. Des herbes folles poussent au pas de maisons en poto-poto aux murs inclinés; à l’allure abandonnée. Des plants de maïs fleurissent les tombes creusées à l’entrée des habitations… Le long du goudron, le côté village dans la ville est moins affirmé, sauf sur l’axe Carrefou Iptec-Carrefour Anguissa, où des bâtisses anciennes, parfois des baraquements en bois, abritent salon de coiffures, épiceries, débits de boissons, ateliers divers.
Urbanisation et problèmes
Quelques enseignes ont contribué, cependant, à donner un aspect urbain à ce bout de la ville. La célèbre menuiserie Noussi, par exemple. Dans les années 70, elle équipa la plupart des administrations publiques. La menuiserie a fermé; de nouveaux commerces (bar, bureaux, salle d’expositions…) occupent le local, mais le nom a survécu à la faillite de l’entreprise gérée à la familiale. Pour la petite histoire, raconte Alphonsine Mbida, "la menuiserie Noussi était d’abord installée à Nkolodongo Elobi". Plus précisément à côté de "Kikmahon", une boîte de nuit qui fit danser Yaoundé dans les années 70.
Tout taximan vous déposera aussi, sans hésiter, au Carrefour Iptec. Entendez Institut privé d’enseignement technique. Ici également, le lieu porte toujours le nom. Le collège, lui, a changé de nom. L’établissement, une création de Martin Ndongo Aléga, était un fleuron de l’enseignement privé dans la capitale. A présent, la gestion de l’établissement a changé de main et s’appelle Collège privé laïc Effa Gaston (Copleg)
Nkoldongo XII, c’est également, la Maison de la femme; la clinique du Bon secours, de feu le Pr Essomba; l’hôpital de district, que dirige le Dr Zambo; la paroisse Charles Lwanga, qui inaugure sa belle église le 2 juin prochain; la Maison du parti Rdpc; le presbytère du pasteur Ngono, réputé pour ses séances d’exorcisme; le lycée de Nkoldongo, en chantier; l’école publique Alphonse Mbida, un joyau construit par les Japonais sur un terrain offert par la famille régnante; le marché de Mvog-Ada, encore appelé marché de Nkol-Ewe, du nom du ruisseau qui coule entre Nkoldongo XII et Mvog-Ada. "C’était une rivière comme le Mfoundi jusque dans les années 70. Les riverains ont diminué le lit par des constructions anarchiques", regrette le chef de quartier.
A l’orée de l’indépendance, Nkoldongo XII comptait une vingtaine de familles. Urbanisation oblige, les autochtones ont tendu les bras aux populations originaires de partout, y compris de l’étranger (Sénégalais, Nigérians, Congolais…).
Ils sont 1500 de nos jours. Cinq chefs de bloc. Quinze débits de boissons. Une pharmacie. Trois collèges. Les problèmes se sont d’autant multipliés. "L’hygiène et la salubrité, la lutte contre l’insécurité, la sensibilisation contre le vih-sida, l’encouragement à la paternité responsable, la sensibilisation des jeunes filles contre la maternités précoce": voilà les défis quotidien de Alphonsine Mbida, ce chef de quartier qui, de temps en temps, "chauffe la tête" à ceux des habitants réfractaires au développement, tout en veillant sur le Stade malien. Comme jadis son père Alphonse Mbida, à qui elle succéda le 16 décembre 2003.
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