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Robert Corfou : J’ai entamé une procédure judiciaire contre le Cameroun… (19.05.2005)
Le directeur technique national (Dtn) de football a récemment appris que son contrat ne sera pas renouvelé par le Minsep. A quelques jours de son départ du Cameroun, le technicien français, qui a travaillé dans notre pays pendant quatre ans, évalue son séjour et parle de ses frustrations, tout en insistant sur les 11 mois d’arriérés de salaire que lui doit l’Etat. Le sujet sera sans doute au centre de la conférence de presse d’au revoir qu’il se propose de donner samedi, 21 mai.
Au moment où vous vous apprêtez à partir, une bonne partie de l’opinion n’a toujours pas compris pourquoi vous étiez là. Certains vont jusqu’à dire que vous étiez un simple touriste. Comment avez-vous été recruté et que faisait au juste Robert Corfou au Cameroun en tant que Dtn ?
Merci pour l’occasion que vous me donnez aujourd’hui de clarifier un certain nombre de choses liés à ma fonction. Je ne suis pas venu ici faire du tourisme. J’étais sous contrat avec les autorités de ce pays, pour m’occuper de la direction technique nationale de football du Cameroun. Je rappelle que j’ai été sollicité par rapport aux besoins que le Cameroun avait en la matière et, je crois aussi, au regard de mes compétences et de mon profil. J’ai eu des discussions à Paris avec l’ancien ministre Bidoung Mpkwatt, Roger Milla, Nguidjol et plusieurs responsables de la Fécafoot, notamment Iya Mohammed, David Mayebi et Alioum Ahlaji. J’ai donc eu l’impression qu’il y avait une vraie demande. C’est deux ans plus tard que j’ai accepté de venir, le temps de régler certains détails liés à ma carrière en France. J’ai tout fait en accord avec le Dtn Aimé Jaquet et la fédération française de football, puisque j’étais bien en poste là-bas comme professeur de sport mis à la disposition de la ligue de Paris. J’étais conseiller technique régional de l’Ile de France. Il faut aussi savoir que j’ai un centre de perfectionnement aux techniques de football dans mon pays où, depuis 25 ans, on reçoit 100 stagiaires par semaine pour des formations appropriées. Ce centre, qui continue de fonctionner grâce à un de mes collègues, reçoit des gens de nationalités diverses. Nous avons déjà eu des Camerounais, des Japonais, des Espagnols, des Chinois, etc.
Sur la base de ces expériences, ma mission au Cameroun était de mettre en place un plan d’action ou, plus précisément, une politique technique nationale en faveur de toutes les sélections.
Qu’est-ce que cela veut dire concrètement ? Par ailleurs avez-vous atteint les objectifs fixés ?
J’ai fait beaucoup de propositions qui ont été approuvées aussi bien par la fédération que par le ministère. Tous les domaines ont été pris en compte. J’ai fait des séminaires sur le football corpo, le futsal, le football féminin, la compétition des jeunes, le regroupement des équipes nationales, le football à effectif réduit ; nous avons regroupé les enfants de 7 à 1 3 ans. On a aussi fait beaucoup de séminaires avec les entraîneurs de première et de deuxième divisions. Nous avons parlé de la préparation athlétique avant, pendant et après le match, la mise en place des programmes d’entraînement, les organisations de jeu et la terminologie (conduite, dribble, tactique, etc.). Plusieurs interventions ont été également faites dans les écoles de football. On leur a donné chaque fois, un maximum de connaissances en peu de temps. A la demande des entraîneurs, j’avais d’ailleurs suggéré de mettre en évidence les nouvelles méthodes d’entraînement à l’Injs pour remettre à niveau les cadres qui font option football. Mais j’ai été manifestement mal compris par le directeur de cette école, qui m’avait pourtant fait croire qu’il était intéressé. C’est dommage, parce que je ne demandais pas un centime ou des perdiems comme on appelle ici ; je ne demandais pas de vacation.
La priorité pour moi, c’était donc la formation des cadres, la formation des éducateurs de football à tous les niveaux, afin que eux, à leur tour, forment les jeunes à la base. C’est de cette façon que l’on peut relancer le football local et donner au championnat de première division et autres, une certaine dimension, malgré l’inexistence des infrastructures adéquates. Malheureusement, je n’ai pas pu atteindre tous les objectifs visés, parce que la hiérarchie ne m’a pas donné les moyens pour y parvenir. Même pas à mes cadres provinciaux, qui en avaient besoin pour assurer le travail de détection des jeunes talents au fin fond des quartiers, départements et autres secteurs, dans la perspective de la mise sur pied d’équipes provinciales. Les 50 meilleurs des dix provinces devaient se retrouver à Yaoundé à des moments précis pour des regroupements stratégiques par rapport aux sélections nationales. Nous l’avons fait en 2002, et je pense que les résultats ont été satisfaisants.
Quand vous parlez de manque de moyens à quoi faites-vous allusion précisément ? Vous aviez un véhicule de service, logé, etc. ?
Là c’est une autre affaire. Nous n’avons pas un budget de fonctionnement pour les provinces et pour la Dtn. Et vous savez que la Dtn, c’est la cellule technique d’un pays, à ne pas confondre avec la cellule administrative ou la direction des Sports. Je crois que tout a été mélangé et qu’on a probablement eu peur de me laisser assumer les responsabilités qui étaient les miennes et qui étaient pourtant faciles à préciser dans une réunion officielle tenue en présence des médias. En France par exemple, le Dtn, c’est l’homme qui donne les directives techniques, en collaboration étroite avec les entraîneurs nationaux et provinciaux. Avec l’aide du ministère des Sports, la fédération lui alloue une subvention pour différentes activités, dont les stages, et ils font les comptes rendus détaillés, y compris financiers.
Le Cameroun a tout ce qu’il faut pour être plus performant, il suffit d’être sérieux. Il faut comprendre qu’il y a des gens qui ne font pas leur travail, il n’y a que l’intérêt personnel qui compte. C’est grave. Et je pense qu’il est bon de le dire, dans l’intérêt du sport camerounais et du football en particulier. Il n’y a pas que moi dans cette situation, je pense que les autres Dtn sont aussi concernés, puisque nous avons monté une petite association. Tous souffrent. J’ai finalement le sentiment qu’au-delà de tout, la principale chose c’est le manque de volonté politique. Puis, il y a la nécessité de mettre en place les gens compétents.
Pourquoi avez-vous préféré supporter pendant quatre ans ?
Il faut reconnaître que la première année, je n’avais pas assez de problèmes. C’est à la deuxième année que les choses ont commencé à être difficiles. J’ai écrit au ministre, puis on m’a dit que les choses allaient rentrer dans l’ordre. J’ai eu des retards de salaires qui ont été payés. A un moment donné, j’en étais à 8 mois. Je pensais donc que les choses allaient changer. C’est pourquoi je n’ai pas été exigeant quand le ministre Bidoung a voulu renouveler mon contrat pour deux ans [son contrat était de deux ans renouvelable si l’une ou l’autre ne dénonçait pas…]. Je n’ai rien demandé, mais c’est lui qui a proposé de donner quelque chose. J’étais resté avec mon salaire de départ…Mon contrat est rompu au moment où je totalise 11 mois d’arriérés de salaires.
Quel en était le montant ? Et comment entendez-vous résoudre ce problème d’arriérés avant de partir dans quelques jours ?
Je ne peux pas vous donner le montant du salaire ou des arriérés en question. Ce que je peux vous dire, c’est que je suis un peu fatigué par cette affaire. On m’a usé avec des
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promesses non tenues. En mars, le ministre a indiqué dans une lettre que je serai payé et que la procédure a été engagée auprès de diverses administrations. En attendant, je me suis endetté dans mon pays pour pouvoir vivre et travailler au Cameroun, payer mes employés de maison, assurer l’entretien du véhicule de service, etc. C’est insupportable. C’est pourquoi j’ai saisi mes avocats en France pour gérer la situation au plan judiciaire. Mais ils vont d’abord saisir la FIFA, qui va certainement écrire à la Fécafoot pour un arbitrage. Je ne voulais pas ces choses - là, je n’ai jamais fait de bruits, je n’ai jamais mis les médias au courant de ce que j’ai enduré, mais j’ai souffert. Qu’est-ce que vous voulez que je vous dise de plus ?
Votre salaire doit être très lourd quand même. Dès lors qu’on vous rassure que la procédure de paiement est en cours, pourquoi ne pas patienter ?
Je vois que vous insistez sur le montant du salaire, mais c’est pas utile d’en parler. D’ailleurs tous les journaux ont relayé des informations à ce sujet, mais personne n’a dit la vérité. Moi j’aurai une occasion pour en dire un mot. J’ai encore quand même un peu de réserve par rapport à ma hiérarchie. Pour le reste, je n’ai pas demandé à venir ici. Et puis, ils ont accepté de me payer ce qui a été arrêté dans le contrat. Il faudrait qu’ils le fassent, qu’ils respectent le contrat. Ce, d’autant plus qu’on ne m’a fait aucun reproche sur le plan professionnel. Je précise qu’il m’a été dit que mon contrat ne peut pas être encore renouvelé parce qu’il n’y a pas d’argent. J’étais content de l’entendre, car là il s’agit d’une histoire honnête.
Est-ce à dire que vous êtes fermé à toutes négociations à présent ?
Non ! Je suis ouvert à toutes les négociations. Mais il est clair que je ne peux faire arrêter la procédure entamée par mes avocats que si je suis rémunéré avant mon départ prévu à la fin de ce mois de mai. Une fois de plus, je suis gêné par cette affaire, surtout que je ne voudrais pas créer de problèmes au Cameroun, ni salir son image. Nous avons plein d’amis ici, sans compter les éducateurs que nous avons formés et qui sont très peinés d’apprendre que je pars. Et je peux déjà vous révéler que je suis sollicité par deux équipes nationales africaines. Souffrez que je n’en parle pas pour l’instant, parce que rien n’est encore conclu.
Malgré vos déceptions, n’étiez-vous pas tenté par l’équipe nationale du Cameroun ?
J’ai eu l’occasion de travailler avec les Lions indomptables quand Pierre Lechantre a été limogé. Il avait fait du bon travail. Je n’ai fait que poursuivre dans sa lancée. J’avais une bonne équipe, le problème c’est qu’il y avait du désordre et de l’indiscipline. C’est pour cela que le ministre Bidoung Mpkwatt et la fédération ont décidé de me confier momentanément l’équipe. J’ai passé de bons moments avec les gars. Ils étaient très réceptifs. C’était un plaisir. Mais c’était pas facile non plus, surtout quand on n’a pas l’habitude de jouer devant quelque 80. 000 spectateurs comme c’était le cas à Yaoundé contre le Togo. Là nous avons gagné par 2 buts à 0. A Lusaka, contre la Zambie, j’avais laissé la moitié de l’équipe type pour donner la chance à d’autres joueurs comme Feutchiné, Ndieffi, Tchato, etc. Et là, on a fait 2-2, après avoir mené jusqu’à la 30e minute de la fin du match. C’est par la suite que Winfried Schafer a été recruté. Mais je ne tenais pas à garder ce poste. Ç’aurait été malhonnête, parce que je n’étais pas venu au Cameroun pour être coach des Lions indomptables, mais pour être Dtn. J’ai rendu service à l’époque parce qu’il y avait une situation de crise, une urgence. J’aurais accepté volontiers de faire de même si on m’avait sollicité après le limogeage de Schafer, pour donner un coup de main en attendant qu’on recrute son remplaçant.
C’est Arthur Jorge qui a finalement pris sa place. Pensez-vous qu’il ait la possibilité de qualifier les Lions indomptables pour Allemagne 2006 ?
Le Cameroun peut se qualifier. Je pense qu’il y a encore un espoir. Il est mince, mais tout peut arriver. Les données s’analysent désormais avec des “ si ”…La Côte d’Ivoire peut perdre un match, le Cameroun est capable d’aller la gagner à Abidjan. A nous d’être extrêmement rigoureux, de gagner nos matches. Mais il faut aussi que les Camerounais soient derrière leur équipe. Les médias devraient également la soutenir et l’encourager. Il faut qu’ils arrêtent de flinguer les entraîneurs, les joueurs, etc. Même s’il y a des petits problèmes, mettons les entre parenthèses jusqu’à ce que l’équipe soit qualifiée. Après, si ça ne va pas à la coupe du monde ou à la Can, ils peuvent sortir les fusils et la mitraillette. Mais pour le moment, laissons les tranquille ; je sais bien que ça fait vendre les journaux. Il y a de l’espoir, il y a même des joueurs qui reviennent.
Il faut signaler que le Cameroun a de grosses pointures, des joueurs costauds et efficaces. Tous excellent dans leurs équipes. D’ailleurs, ils évoluent la plupart dans les meilleurs clubs du monde. Il suffit que règne un bon climat autour d’eux. De plus, il faudrait qu’ils viennent pour jouer vraiment et non pour s’économiser par rapport à leur club. Je ne reviendrai pas sur les détails administratifs et logistiques qui sont aussi importants, comme par exemple la convocation et le regroupement des joueurs à temps, la mise en place des structures d’accueil modernes (terrains, etc.). Tout ça, on le sait déjà…
Bref, faisons confiance au staff qui est là. Je suis heureux que Arthur Jorge soit entouré des gens solides comme Jules Nyongha et Jacques Songo.
Quels souvenirs gardez-vous du Cameroun au moment où vous vous apprêtez à partir ?
Je suis content d’avoir gagné la sympathie et la reconnaissance des entraîneurs camerounais que j’ai pu former. C’était agréable de travailler avec des collaborateurs comme Wansi, N. Djili, Ebwelle Bertin, Mbella, etc. Ma femme et moi avons passé de bons moments avec les Camerounais en général. Il y a tout ici au Cameroun, mais je pense que des efforts supplémentaires doivent être faits pour le développer et le vendre sur le plan touristique comme c’est le cas au Sénégal par exemple.
Mais si je vous dit que tout a été parfait, c’est que je suis pas honnête, car j’ai rencontré trop de difficultés. Je reconnais que c’est difficile de travailler en Afrique. J’espère que Patrick Prêcheur qui viendra prendre la direction générale de la Fécafoot connaît bien les réalités du continent, celles du Cameroun en particulier. Car le Cameroun n’est pas la Côte d’Ivoire, ni le Burkina Faso, etc. Je lui souhaite en tout cas beaucoup de bonheur. Il faudrait qu’il apprenne à écouter les Camerounais, et je suis sûr qu’il peut compter sur quelqu’un comme Louis Marie Ondoua.
Un dernier mot, de préférence sur vos espoirs ou vos vœux ?
Je souhaiterais que l’on donne la possibilité et les moyens à mes collaborateurs de la Dtn de continuer le travail et de mettre en place ce que je suis venu faire au Cameroun. En dehors de tout ce dont j’ai parlé au cours de cette interview, il est important de prendre en compte la formation optimale de l’équipe A’ de manière à ce qu’elle soit une bonne pépinière pour l’équipe nationale, etc. J’avais fait des propositions concrètes à ce sujet. J’ai laissé tous les dossiers et documents à mes collaborateurs. Je pense que Dominique Wansi peut continuer, si on lui fait confiance et si on lui donne les moyens.
Par Entretien mené par Norbert N. OUENDJI
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