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Issa Hayatou : Mes 20 ans à la Caf… (10.03.2008)
Ce 10 mars 2008, cela fait 20 ans que notre compatriote est le président de la Confédération africaine de football (Caf). Une longévité exceptionnelle qui, pour beaucoup, reste une surprise.
Entretien mené par Bertille Missi Bikoun
Il faut pourtant dire que même son élection à la présidence de la Caf avait surpris du beau monde parce que personne n`avait vu venir l`ancien directeur des sports au Minjes et ancien président de la Fédération camerounaise de football, aujourd`hui âgé de 61 ans.
Deux décennies plus loin, force est de constater que le prince du lamidat de Garoua a pratiquement révolutionné le football africain, lequel pourrait encore prendre une autre dimension à la faveur de l`organisation, en 2010, de la Coupe du monde par l`Afrique du Sud. Une grande première pour le continent africain que le président de la Caf voudrait vivre en direct, avant de prendre une retraite amplement méritée.
En attendant, il a accepté de faire avec Mutations le tour d`horizon des questions du football africain, sans omettre d`évoquer ce fameux 10 mars 1988 à Casablanca.
Ce lundi, 10 mars 2008, cela fait exactement 20 ans que vous êtes à la tête de la Confédération africaine de football. S`il vous était demandé de dresser votre bilan depuis lors…
C`est une question à laquelle j`ai du mal à répondre parce que c`est à vous de dresser ce bilan. Ce n`est pas à moi de vous dire j`ai fait ci j`ai fait çà. Vous nous suivez. S`il y a une cellule qui nous critique, c`est bien la presse. Et elle est faite pour cela. Pour nous permette d`aller toujours de l`avant.
Néanmoins, tout ce que je peux vous dire c`est que, ce que nous avons proposé, mon équipe et moi, pendant la campagne qui a conduit à mon élection le 10 mars 1988, nous l`avons réalisé. Il nous reste juste une chose : gagner la Coupe du monde. Nous avions dit à l`époque, dans le programme que j`avais présenté à l`assemblée générale de Casablanca, que nous allons restaurer la crédibilité de la Caf, augmenter les recettes, reformer et multiplier les compétitions, élargir notre champ d`action au niveau des autres confédérations, obtenir notre crédibilité vis-à-vis de la Fifa. Le pari est gagné. Certes, il est vrai que l`Afrique n`a pas encore gagné la Coupe du monde ! J`avais annoncé qu`on organiserait la Coupe du monde en Afrique. C`est une promesse que j`avais faite pour 2006. Dieu m`a aidé, l`Afrique du Sud organisera la Coupe du monde en 2010.
Donc, je pense que, à l`exception de cette Coupe du monde que nous n`avons pas encore gagnée, nous avons réussi à faire le maximum. Quand j`arrivais à la Caf, j`avais trouvé 1.263.000 dollars dans les caisses. Aujourd`hui, nous avons plus de 50 millions de dollars, sans compter ce que nous utilisons pour le fonctionnement, au quotidien de l`institution.
La Can était organisée avec huit pays ; nous en sommes à seize aujourd`hui. Nous avons multiplié les compétitions : nous avons créé la phase finale de la Can féminine, de la Can cadets (U17), de la Can juniors (U20), toutes des compétitions qui n`existaient pas quand je suis arrivé. Avant moi, la Caf organisait deux compétitions : la grande Can [des seniors messieurs] et la Coupe d`Afrique des nations des moins de 20 ans en aller et retour. Non seulement nous avons créé cette dernière compétition et plusieurs autres, mais toutes ces équipes là se retrouvent tous les deux ans dans un pays africain, à la grande satisfaction de tout le monde.
Voilà, en gros, ce que nous avons fait. Et nous sommes allés au-delà en créant une autre compétition pour permettre aux joueurs africains locaux qui, jusqu`à preuve du contraire, n`ont pas tellement espoir parce que la Can est monopolisée par les joueurs expatriés. Les locaux, quels que soient les efforts qu`ils fournissent, doivent attendre. Et, des fois, dans cette attente-là, leurs espoirs s`évanouissent. C`est pour cela que nous avons créé une compétition pour les footballeurs qui évoluent dans nos championnats. Cela leur donnera espoir et donnera également un souffle nouveau au football africain. Voilà autant de choses que nous avons faites dans cet intervalle de temps qui nous sépare de l`année de mon élection, c`est-à-dire du 10 mars 1988 au 10 mars 2008.
Quelle est l`image forte que vous gardez de ces vingt années à la tête de la Caf ?
A mon arrivée à la tête de la Caf, l`Afrique avait deux représentants à la phase finale de la Coupe du monde. Aujourd`hui, ils sont cinq. Et en 2010 en Afrique du Sud, ils seront six, y compris le pays organisateur. Mais le quota de l`Afrique c`est cinq. Je sais ce que nous avons fait pour obtenir cela. Çà me réjouit, ainsi que tous les Africains. Il faut savoir que la Coupe du monde est ce qui permet aux équipes, particulièrement européennes et américaines, de vivre entre deux Coupes du monde. Les recettes de la Coupe du monde qu`on donne aux fédérations qui y ont participé, suffisent à ces fédérations là pour tourner pendant l`intervalle de quatre ans. L`Afrique avait des miettes parce que nous avions une équipe, ensuite deux. Maintenant, ça commence à venir. Nous sommes deuxième en nombre. Après l`Europe, 13 représentants, c`est l`Afrique, avec 5 équipes. Suivent l`Amérique du Sud avec 4 et les autres.
Nous avons réussi à faire de la Confédération africaine de football une institution qui est enviée et enviable par tous. La Can n`a jamais connu un retard, depuis sa création. Nous avons mis de côté les considérations politiques et autres. Il n`y a que les aspects techniques et sportifs qui ont prévalu. Et nous avons maintenu cette périodicité de deux ans…
La Can est fort médiatisée et du coup elle génère des fonds. Est-ce qu`il n`y a pas un effort qui doit être fait dans le même sens pour le coupes interclubs, très peu suivies par les Africains, bien que télévisées ?
Nous sommes à l`époque de la télévision. Et malheureusement, l`année a 365 jours. Quand on joue les compétitions interclubs en Afrique, des fois, il y a des compétitions au niveau de l`Europe. Et les Africains préfèrent (sauf les pays qui abritent la compétition) voir à la télévision les matches de la Ligue des champions européenne. Ce qui est tout à fait normal. En Europe, ils ont beaucoup plus d`atouts, les stades sont de meilleure qualité… Chez nous, on joue parfois dans la boue, sous la pluie. Toutes choses qui emmènent les spectateurs à se tourner plutôt vers la Ligue européenne. Mais, des efforts sont faits au niveau de la Caf pour que ces compétitions soient vues. Nous les avons vendues. Et bien vendu.
La Caf met un point d`honneur en ce qui concerne le volet infrastructurel en vue de la Can. Ce n`est pas toujours le cas pour les compétitions interclubs…
La Caf met le paquet pour la Can, en collaboration avec les Etats. Ce que les Etats ne font pas pour les clubs. J`ai entendu le président de la Fédération camerounaise de football [Mohammed Iya] décrier le fait que les clubs qui nous représentent n`ont rien. Or, l`équipe nationale a eu des milliards [pour la dernière campagne africaine, Ghana 2008, Ndlr]. Je suppose, je ne connais pas exactement le montant.
Les Etats, lorsqu`il s`agit de la Can, mettent le paquet pour construire des infrastructures. Le Ghana a construit quatre stades pour la dernière Can. L`Angola [pays organisateur de la Can 2010] est en train de le faire pour une enveloppe de 600 millions dollars.
Donc, il y a la part de l`Etat qui est très significative en ce qui concerne la Can. Ce n`est pas le cas pour les clubs. Ce qui est tout à fait normal car les clubs sont privés. Ils appartiennent à une tribu, un richard, un groupe d`individus. Et c`est pour cela que les clubs de l`Afrique du Nord sont plus performants que les clubs du Sud ; parce que ces derniers sont plus entraînés, ils ont beaucoup plus de moyens et de facilités. Si vous voyez le football africain, au niveau des clubs, les compétitions sont dominées par l`Afrique du Nord. Au niveau des sélections nationales, la tendance est soit égale, soit renversée. Parce que les moyens viennent des Etats, que les clubs n`ont pas.
Sur un plan purement technique, comment jugez-vous la dernière Can organisée par le Ghana ?
Sur le plan technique, ma voix ne peut que compléter les avis que nous avons eus çà et là. Je crois que nous avons eu tous les grands techniciens qui sont venus à la Can. Et celle-ci a été médiatisée à travers le monde entier. Et, partout, c`est la grande satisfaction. Tout le monde reconnaît qu`elle a été organisée des mains de maîtres. Et tous les staffs techniques et les joueurs se sont surpassés. Regardez les statistiques : il y a 205 footballeurs qui évoluent en Europe qui étaient à la Can.
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270 évoluaient hors d`Afrique. Et sur les 205 qui évoluent en Europe, au moins 100 sont titulaires dans leurs clubs respectifs. Cela prouve que les Africains sont aguerris pour ce genre de compétition ; et c`est cela qui a donné un éclat à cette Can.
Nous pouvons dire que sur le plan technique, tactique, sportif, c`est la grande satisfaction que nous avons vécue au Ghana. Tout le monde s`accorde à le dire. Y compris les grands techniciens, tel que José Mourinho, qui sont venus. Jamais, nous n`avons eu un parterre aussi relevé d`invités arrivés spontanément. Ce n`est pas nous qui les avons invités. Ils sont venus pour voir, compte tenu des échos qu`ils ont eus au départ. La dernière semaine de la Can, ils étaient nombreux à venir au Ghana : des membres du gouvernement (dont le Français Bernard Laporte) et des techniciens. La Can ghanéenne a donné une très bonne image de l`Afrique. Elle a également démontré, s`il en était encore besoin, notre capacité à pouvoir organiser des grandes fêtes.
Quels souvenirs gardez-vous de la campagne, puis de votre élection, le 10 mars 1988 ?
Quand je suis parti, je n`avais pas de chances d`après certaines personnes parce que la grande majorité s`était dégagée pour mon concurrent, le Togolais Ekoue. Malheureusement, ceux qui étaient autour de lui n`avaient pas le droit de vote. Et c`est là où de nombreuses personnes se sont trompées : au niveau de l`élection à la Caf ou à la Fifa, ce sont les associations qui votent. Ce ne sont pas les membres qui inondent les commissions et qui viennent raconter les choses que vous voulez entendre.
Quand nous sommes entrés dans la salle ce jour-là, mon adversaire n`avait que 12 personnes qui le soutenaient et moi 13. Donc nous étions très proches. Et il y avait 41 fédérations qui étaient présentes. Parce qu`à l`époque c`est chaque fédération qui se déplaçait par ses propres moyens pour venir au Congrès. Ce n`est pas comme maintenant où la Caf prend en charge tous les délégués, y compris le transport international et local, l`hébergement et la restauration. Donc, sur les 53 associations membres de la Caf, les délégués de 41 d`entre- elles avaient effectué le déplacement de Casablanca.
La majorité était de 21 voix. Ce que aucun d`entre nous n`a eu au premier tour : il a eu 16, j`ai eu 13 et il y a eu des bulletins nuls. Nous sommes allés au deuxième tour. Nous avons eu 20 voix chacun et, nous sommes allés au troisième tour. Je ne sais pas par quel miracle deux voix ont basculé vers moi. Je suis passé à 22 voix et, lui, il est resté à 18. Et c`est ainsi que j`ai été élu. Tout le monde pensait que ce devrait être Ekoue; compte tenu de son expérience, et du fait qu`il appartenait déjà à la Caf.
Quand et comment arrivez-vous à la Caf ?
Je suis à la Caf depuis 1982, à la Coupe d`Afrique des nations de Libye. M. Tessema, mon prédécesseur, m`avait coopté comme membre de la commission technique. Et je suis rentré au comité exécutif en 1986, quand le Pr Essomba a déclaré qu`il ne pouvait plus continuer. C`est lui-même qui avait présenté ma candidature. Et, en 1987, M. Tessema est mort. Le Cameroun a présenté ma candidature. J`ai été élu dans les conditions que je venais de vous décrire. Je n`avais pas les faveurs des pronostics. Mais, le sort, lui, en a décidé autrement.
Certains avaient pronostiqué que j`allais mettre tout juste quatre ans [un mandat]. D`autres ont dit que je ne pouvais pas tenir parce que j`étais jeune (j`avais 42 ans). Mais cela fait 20 ans que je suis toujours là. 20 ans de présidence de la Confédération africaine de football. Je ne sais pas si c`est à la satisfaction de tout le monde. En tout cas, l`Afrique a bougé. Et je suis toujours là.
Vous avez annoncé que vous prendrez votre retraite après le Mondial 2010. Cela tient toujours?
Le Mondial 2010 intervient après les élections [à la Caf]. Nous avons les élections l`année prochaine au mois de février pour renouveler 50% de nos effectifs. A la Caf, on ne renouvelle pas la totalité. Ce n`est pas comme dans un parlement où, quand il s`agit des élections, on renouvelle tous les parlementaires. A la Caf, à la Fifa ou à l`Uefa, on renouvelle seulement 50%. On a le souci d`avoir toujours 50% qui peuvent prendre le témoin et aider les nouveaux venus à faire leur pas dans la maison. Donc, il y aura des élections en 2009. Malheureusement ou heureusement, il y aura également l`élection du président de la Confédération africaine de football à ladite période. Je ne sais pas si je serai élu. Mais je suis candidat.
Si je suis élu, pour répondre à votre question, je ne sais pas à quel moment je devrais lâcher. J`ai été nommé président de la Commission d`organisation de la Coupe du monde qui intervient comme vous le savez en Afrique du Sud en 2010. Est-ce que après 2010 je devrais démissionner ou alors attendre encore un peu ? Ce qui est sûr, c`est que je ne me représenterai pas au cas où je brigue le mandat de 2009. Mais si je ne suis pas élu, l`aventure s`arrêtera après 2010.
Président du Comité d`organisation du Mondial 2010. N`est-ce pas une mission de trop ?
Pourquoi de trop ? C`est bien parce que j`ai fait mes preuves à la Caf que le monde m`a fait confiance pour être président du Comité d`organisation de la Coupe du monde 2010. Ils [les dirigeants de la Fifa] voient ce qui se passe au niveau du continent africain. Ce n`est pas un fait du hasard. Certes, je suis président de la Caf, mais je suis également vice-président de la Fifa. Et, dans la hiérarchie, je suis troisième actuellement au monde. Il y a M. Blatter, qui est président, l`Argentin M. Grondona qui est vice-président [et président de la Conmebol, la Confédération sud-américaine de football], et vient immédiatement M. Hayatou.
Et compte tenu de tout cela, de l`expérience, de ce que le football africain est devenu, ils ont jugé utile de me mettre à cette place. Je ne pense pas que cela soit une responsabilité de trop. Pas du tout. Mais, c`est vrai que c`est un travail supplémentaire qu`ils m`ont donné. C`est un plaisir pour moi de le faire, et je suis très heureux d`accomplir cette mission. Je sais que, maintenant que nous sommes entrés dans la dernière ligne droite, je n`aurais peut-être pas le temps de rester au Cameroun. Mais ce sera une fierté pour moi d`apporter ma contribution à la réalisation de cette première Coupe du monde organisée par l`Afrique.
Avez-vous déjà un plan de travail?
J`ai déjà été en Afrique du Sud au moins quatre fois depuis que j`ai été nommé président du Comité d`organisation de la Coupe du monde de 2010. Pour le moment, la balle est dans leur camp. Nous avons fait le tirage au sort en octobre dernier, le volet qui nous concerne. Il faut qualifier les 32 équipes participantes. Nous allons le faire. Il y a les problèmes de billetterie, d`organisation… Mais nous commençons déjà à les cerner. Les deux premières années, c`est beaucoup plus la partie sud-africaine qui est à l`œuvre, parce qu`il faut construire les stades. Ils sont en train de sortir les stades du sol, aménager ceux qui existent, agrandir le stade de Johannesburg. D`après ce qu`ils nous ont dit, ils veulent avoir 60 millions de visiteurs. Donc tous ces grands chantiers se passent sur le terrain. Nous, nous allons de temps en temps vérifier ce qui est fait. C`est maintenant que nous allons entrer véritablement dans la danse car, comme je venais de vous le dire, il y a des problèmes de billetterie, d`hôtellerie, d`hébergement, de sécurité... Nous avons mis en place un calendrier de visites. C`est vous dire que tout a été prévu et synchronisé.
20 ans de travail, de lutte mais aussi de plaisirs, cela ne passe certainement pas inaperçu…
Je ne sais pas. Je suis à la tête d`une équipe. Je vais à une réunion à Tunis. Nous allons voir dans quelle mesure officialiser cela. En ce qui me concerne, compte tenu de mon tempérament, je suis indifférent à tout cela. Je préfère passer inaperçu. Je suis à la tête d`une équipe. Tout dépendra de ce que mes collègues vont décider. S`ils estiment que cela nécessite que nous fêtions, nous allons fêter. S`ils me laissent la latitude de faire quelque chose, vous pouvez être sûr que je ne fêterai pas. (Rires) Pour moi, ce n`est que normal. Pour tout vous dire, je n`ai jamais fêté mon anniversaire. Çà aussi c`est un anniversaire. Mais si je ne fête pas le 9 août qui est mon jour de naissance, je ne vois pas pourquoi je fêterais les 20 ans de présidence de la Caf! Mais, je suis à la tête d`une équipe. Si elle me recommande de le faire, avec joie, avec plaisir, je le ferais. Mais s`ils me disent : faites ce que vous voulez, je resterai égal à moi-même. Ces 20 ans passeront inaperçus.
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