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Leçons d’Abidjan: Le Pr Mbembe analyse la victoire des Lions Indomptables (08.09.2005)
Le Cameroun sera peut-être présent lors de la phase finale de la Coupe du monde de football en Allemagne l’année prochaine. Les Lions Indomptables auront alors accompli un remarquable retour en force et le pays tout entier aura inscrit une victoire sur lui-même et ses détracteurs.La première leçon d’Abidjan est simple. Si seulement ce que nous accomplissons de temps à autre dans le domaine du football pouvait être élargi à d’autres domaines de notre vie nationale, nous irions loin. Car l’image sulfureuse du pays que nos dirigeants ont fini par imposer à l’extérieur depuis 1982,les scandales à répétition depuis quinze ans dans notre football ne rendent pas service à ses vaillants Lions ni au Cameroun.
Leçons d’Abidjan
Le Cameroun sera peut-être présent lors de la phase finale de la Coupe du monde de football en Allemagne l’année prochaine. Encore faut-il, au préalable, arracher une victoire nette face à l’Egypte le mois prochain. Supposons que cela soit effectivement le cas. Les Lions Indomptables auront alors accompli un remarquable retour en force et le pays tout entier aura inscrit une victoire sur lui-même et ses détracteurs.
Face à l’adversité
En attendant, la victoire d’Abidjan vient confirmer le fait que si nous nous y prenons autrement, sérieusement, alors rien n’est hors de notre portée. Avant ce match, presque tous les observateurs internationaux avaient pronostiqué une victoire de la Côte d’Ivoire. Dans la plupart des médias, l’hostilité à l’égard de l’équipe nationale du Cameroun était manifeste. Nombreux étaient ceux qui soit s’en moquaient ouvertement, ou encore souhaitaient sa défaite. De façon tout à fait prématurée, ils avaient décrété une nouvelle ère de la domination du football africain portée par ce malheureux pays, autrefois terre d’accueil et de prospérité, mais aujourd’hui en faillite, dévoré par ses propres démons, et qui, du moins pour le moment, n’a strictement rien à montrer en exemple au monde - la Côte d’Ivoire.
Nous devons nous poser la question de savoir quelles sont les sources de cette hostilité. Elles ne tiennent pas seulement au désir de nouveauté qu’expriment ceux qui souhaitent voir s’instaurer une nouvelle hiérarchie dans le football africain. Elles ont à voir avec deux choses que nous aurions tort de négliger. Et d’abord le fait que sur le plan footballistique, le Cameroun a déçu plus d’un au sortir de son exploit de 1990 en Italie. Nous avons participé à toutes les coupes du monde qui ont suivi l’expédition de 1990. Mais nous n’avons jamais pu répéter les exploits de 1990. Du coup, nombreux sont ceux qui souhaiteraient donner la chance à d’autres. Voilà pourquoi le relatif succès du Sénégal en 2002 provoqua tant de bruits.
La deuxième raison tient à l’image sulfureuse du pays que nos dirigeants ont fini par imposer à l’extérieur depuis 1982 : corruption, vénalité et incompétence. Malheureusement, la façon dont nous avons géré notre football n’a fait que confirmer ceux que les autres redoutaient. Que de scandales à répétition depuis quinze ans : le détournement des fonds liés à la Coupe du monde 1998 ; la grève des joueurs quelques jours avant le début de la Coupe du monde 2002 ; le rocambolesque voyage des Lions au Japon ; l’affaire des maillots ; des entraîneurs recrutés avec fanfare mais impayés des années durant, et qui menacent de nous humilier devant les instances internationales du football.
Cette série d’affaires nous rend le plus mauvais service aux yeux du monde. Elle constitue, aux yeux de nos détracteurs, la démonstration du manque de sérieux des Africains et de leur incapacité congénitale à prendre soin d’eux-mêmes. À cause de ces affaires en série, nous avons fini par donner de nous-mêmes l’image d’un pays porté vers l’auto-destruction, incapable d’exorciser ses propres démons, et dont les dirigeants ont perdu tout sens de la honte et de l’embarras.
Comment s’y prendre autrement
La première leçon d’Abidjan est simple. Si seulement ce que nous accomplissons de temps à autre dans le domaine du football pouvait être élargi à d’autres domaines de notre vie nationale, nous irions loin. Les résultats obtenus par l’équipe nationale depuis quelques temps ne sont pas dûs au hasard. Pour ceux d’entre nous qui observons la situation de l’extérieur, il est clair que le double changement intervenu l’autre année tant au niveau du Ministère que du staff technique est en train de porter ses fruits.
Monsieur Philippe Mbarga Mboa est en train d’accomplir un travail remarquable. Il a hérité d’une situation pourrie qu’il a su, depuis sa nomination, retourner non sans méthode. Le choix d’un entraîneur de haut niveau, Artur Jorge, a constitué la première étape de ce processus. Le ministre a, ensuite, su accorder l’autonomie dont elle a besoin à l’équipe technique. En effet, l’un des motifs de la dérision qui souvent nous frappe est le fait, totalement incongru sous d’autres cieux, de l’immixtion des bureaucrates dans les choix techniques et sportifs.
Par ailleurs, le ministre semble avoir vite compris que pour engranger quelque succès que ce soit, l’équipe nationale avait besoin du soutien de tous les Camerounais. D’où les efforts visant à créer autour des Lions Indomptables un véritable consensus national et une légitimité dont témoigne, par exemple, l’implication d’un Patrick Mboma ou d’un James Tataw dans le staff ; l’importante délégation d’anciens joueurs venus soutenir l’équipe à Abidjan ; ou encore l’aide financière apportée récemment à la presse privée chargée de couvrir le match de Cote d’Ivoire.
Pour sa part, le nouvel entraîneur et son staff ont su stabiliser l’équipe et lui instiller une soif de victoire. Une ossature centrale existe. Certes, ils n’ont pas encore totalement reconstitué la « grande machine » qui permit de remporter successivement les deux coupes d’Afrique des nations en 2000 et en 2002.
Mais le match d’Abidjan permet de déceler, ici et là, les éléments susceptibles de servir de fondation à une équipe des Lions Indomptables capable de mieux représenter l’Afrique lors de la prochaine coupe du monde : l’imposante présence physique des athlètes camerounais ; l’alternance de phases lentes de jeu et d’accélérations soudaines ; la relative densité d’un milieu de terrain très technique, jouant sur des balles courtes et susceptible d’être reconverti, en fonction des phases de jeu, aussi bien en rampe de lancement offensif qu’en pilier défensif ; l’utilisation habile (notamment côté droit) des couloirs et des ailes ; le travail incessant (malheureusement invisible) de fixation de la défense adverse et d’ouverture de voies de passage par Samuel Eto’o ; l’alliage de la vitesse, de la technique et de l’explosivité d’un Rodolphe Douala et, surtout, les instincts prédateurs d’un Achille Webo.
Ceci dit, en cas de qualification pour 2006, de nombreux problèmes
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persistent. La défense camerounaise, autrefois si fiable et si hermétique, est vieillissante. Rigobert Song a encore beaucoup à donner. Encore faudrait-il qu’il soit mieux entouré. Le retour de Raymond Kalla ne peut être qu’une solution de court terme. Pierre Womé et Geremi Njitap disposent chacun d’une énorme expérience. Encore faudrait-il qu’ils bénéficient de suffisamment de temps de jeu dans leurs clubs respectifs. L’on a encore besoin d’un milieu de terrain doté du sens de la profondeur et de la vision, capable de réorienter en un rien la direction du jeu et, surtout, de mettre à profit les appels de balle de Samuel Eto’o, ses extraordinaires capacités de démarrage, sa vitesse et sa technicité – qualités que le FC Barcelone sait utiliser au maximum.
À la vérité, la défense est encore loin d’être reconstituée. Le refus de Lauren Etamé de regagner les rangs d’une sélection qui marche à nouveau, dans un contexte de relatif renouveau des méthodes de gestion, est tout à fait incompréhensible. Peut-être faudrait-il, dans ce cas précis, suivre les recommandations de Jean-Paul Akono et, à travers les plus hautes autorités du pays, chercher à ramener au bercail ce « fils prodige ». Cette politique du « retour au bercail » doit également s’appliquer aux jeunes nés dans la diaspora, et qui hésitent entre les sirènes de la nation d’accueil et le choix en faveur du « berceau de nos ancêtres ». Tel est, actuellement, le cas d’Assou-Ekotto en France.
Au cas où l’on se qualifierait pour la Coupe du monde 2006, l’entraîneur Artur Jorge devrait, d’ici juin 2006, disposer de toute latitude pour procéder à maintes expérimentations. Il existe un énorme réservoir de talents camerounais à l’intérieur aussi bien qu’à l’étranger. Qu’il accentue donc la concurrence au sein de l’équipe. Qu’il teste donc la plupart des jeunes qui ont gagné, il n’y a pas si longtemps, les Jeux africains. Qu’il ouvre la porte de l’équipe à ceux de la diaspora, à l’instar d’Alexandre Song à Arsenal, de Mah Boumsong en Italie, de Matip en Allemagne, et de bien d’autres. Que Songo’o, l’entraîneur des gardiens de but, convainque donc son fils Frank d’honorer son pays au lieu de chercher à faire le bonheur de la France.
Une stratégie à long terme
Mais les choix les plus cruciaux ont sans doute trait à l’avenir. Pendant plusieurs années, le football camerounais a été géré au jour le jour. Que des résultats suffisamment éloquents aient pu être engrangés dans ce climat d’improvisation et de corruption tient sans doute à ce qu’on appelle le mental de fer des Camerounais et la pléthore de talents dont le pays regorge. Ces deux facteurs combinés ont permis, jusqu’à présent, de sauver la face. Mais à l’heure où nombre de pays en Afrique et à travers le monde gagnent en professionnalisme et en capacité de gestion, l’on ne peut plus compter sur les seuls coups du destin.
Il faut donc que le ministère des sports et la FECAFOOT produisent une véritable stratégie de développement du football dont le but, à long terme, est de faire du Cameroun le Brésil de cette première moitié du XXIème siècle.
Et d’abord, il faut créer au Cameroun une Agence nationale de développement du football. Le football, de par le monde, est devenu un aspect central de la nouvelle économie globale. Il contribue, en milliards de dollars par an, à l’économie mondiale des spectacles et des loisirs. Il est l’une des portes d’entrée dans la culture globale contemporaine. Mais pour y parvenir, encore faut-il s’organiser rationnellement. Viendrait-elle à voir le jour, l’Agence de développement du football devrait devenir le bras financier d’une véritable révolution tant dans l’art de jouer que de gérer le football dans son ensemble. De nécessité, une telle institution financière devrait être le résultat d’un partenariat entre l’État, le secteur privé (national et international) et la FECAFOOT.
Elle agirait à la manière d’une banque et d’une fondation. Une partie de ses revenus pourrait servir à financer la construction des infrastructures, à commencer par de véritables stades de capacité moyenne, mais répondant à des critères internationaux, dans les principales villes du pays. Une telle agence pourrait également investir dans la mise en place de véritables académies de football en liaison avec certains grands clubs européens. Le Cameroun pourrait ainsi disposer d’un maître-plan visant à faire de ce pays la relève du Brésil au sein du football international.
À supposer que nous sortions vainqueurs de la confrontation contre l’Egypte, l’objectif immédiat est de poursuivre l’œuvre de reconstruction de l’équipe nationale en vue de la Coupe du monde 2006, puis 2010 en Afrique du Sud. La mission, pour 2006, serait d’atteindre au moins les quarts de finale et d’égaler ainsi le record de 1990. Si cela pouvait être réalisé en Allemagne l’an prochain, qui sait ce dont on pourrait etre capable en 2010,l’année de la première Coupe du monde en terre africaine ?
Football, arts et culture
Peut-être que si nous nous y prenons correctement, le football peut devenir le véhicule par lequel passera la renaissance du pays. Mais il faudrait, dans ce cas, introduire une bonne dose d’éthique et de rationalité dans la façon dont ce trésor est géré.
Il faudra également faire dialoguer, sur le plan intellectuel et esthétique, le football et les arts en général. C’est seulement à cette condition que ce sport servira de levain à notre société et à notre culture.
Avec le football, les arts et la culture constituent en effet les principaux secteurs où le Cameroun montre, quand il le faut, le visage de ce dont il est vraiment capable. C’est dans ces secteurs que nous démontrons, de temps à autre, pourquoi nous avons droit aux égards du monde dans son ensemble.
Si nous voulons vraiment faire les choses autrement, sérieusement, peut-être nous faut-il prendre très au sérieux le rapport entre le football et les arts, qu’il s’agisse de la littérature, de la peinture, de la musique, de la ou de la philosophie. Peut-être nous faut-il créer les conditions propices pour une fécondation des arts par le sport et du sport par les arts.
Sans cette mutuelle fécondation, nos footballeurs resteront sans doute nos meilleurs ambassadeurs – mais des ambassadeurs illettrés, sans grande idée, attirés par tout ce qui brille, mais ne dure point.
Sans cette fécondation réciproque, notre football restera aux mains d’affairistes et de gens sans foi ni loi. Si tel devait malheureusement etre le cas, alors nous serions dans l’impossibilité de bénéficier des retombées que le football en tant que l’une des valeurs fortes de la nouvelle économie globale des loisirs et des spectacles offre à d’autres moins nantis en talents que nous, mais bien plus vertueux et mieux organisés que nous.
[ Johannesburg - Afrique du Sud ] ( 6/09/2005) Achille Mbembe
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